Kuta au miroir de Kuta

Dans l'histoire du rock, il est très rare qu'un artiste ou un groupe qui ne vienne pas de la cour des grands - entendez par là signé, produit ou soutenu par une major - soit à l'honneur, squatte le haut de l'affiche, soit propulsé en avant. Les choses changent. Kuta nous le démontre...

Si tout un chacun peut aujourd'hui accéder à la technologie numérique, les musiciens ont été les premiers touchés par cette grâce, par cette opportunité technique qui mettait à leurs pieds le son et la mobilité. Ce qui, dans les anné soixantes, relevait de l'exploit, à savoir produire soi-même un disque et le vendre dans un circuit quelconque, devenait une réalité tangible à la fin du siècle dernier: éditer un disque avec un son professionnel et bénéficier d'un circuit de distribution professionnel, telle la FNAC. C'est ainsi que de cette double conjoncture, Kuta, musicien autonome et autoproduit, est le premier à être soutenu par la FNAC, OUI FM et ROCK & FOLK, sans apport marketing d'une maison de disque du type major.
Longtemps bridés, les talents locaux ont depuis une décennie montré qu'ils pouvaient exister, pas forcément perdurer, mais au moins éclore. De la vague alternative de l'après-punk, on note aujourd'hui un presque-homme-orchestre du nom de Kuta. Dans son Sud tranquille, loin du parisiannisme qui n'est plus à la base des décisions, il a tranquillement peaufiné et délicatement ciselé un album de chansons. L'oeuvre est inclassable, tant pour les critiques de rock que pour les spécialistes du rangement de disques. Pour arriver à un résultat aussi équilibré que celui-là, il a bien fallu que Kuta connaisse les excès.
Il a commencé presque dans la cour de l'école, pour se retrouver chanteur d'un groupe de rock. Ses contacts lui apprirent, parfois de manière cruelle, le jeu des influences et des rapports entre les individus. Rares sont les groupes amateurs qui passent le cap de la naissance. La mortalité est la base même du rock, le principe du phénix. C'est sous la forme de Kuta, chanteur aujourd'hui autonome, qu'il revient parmis les vivants, grâce à deux expériences complémentaires mais philosophiquement très différentes.
Evoquons d'abord un voyage en Indonésie, pays peu rock'n'roll en lui-même, mais où un urbain peut comprendre très rapidement que la vie offre d'autres dimensions que celles que nous côtoyons tous les jours en Europe, que la sensibilité peut-être bien plus grande en Asie qu'ici, et que, pour réaliser la musique issue de ces nouvelles sensations, un univers de machines donne brusquement accès à la création si le dieu machine reste sous contrôle.
Revoyons ensuite Kuta, armé d'un stylo et d'une feuille de papier, commencer par écrire et jeter à la corbeille. Il remit son ouvrage sur la table et remplis sa corbeille de papiers jusqu'à ce que le texte devienne chanson, jusqu'à ce que la musique se métamorphose en modeste support d'une voix qui n'a besoin d'aucun artifice amplifié, jusqu'à ce que la musique soit un plaisir qui laisse vivre les chansons.
Kuta et son premier album, tout en anglais, sont une surprise. On nous y prend par la main pour entrer dans une danse dont on avait oublié les pas. C'est le disque d'un grand amoureux de rock, de quelqu'un qui cherche depuis longtemps comment renouer avec le romantisme qui fit ses débuts dans les annés quatre-vingts.
Kuta - l'album - n'est ni électronique, ni techno, ni pop. Il serait de la même veine que, par exemple, les productions estampillées David Bowie lorsque le caméléon touchait aux machines, à l'époque de l'enregistrement de "Low". Tout au long des onze morceaux, Kuta - l'artiste - ne sort jamais du chemin qu'il a ouvert pour sa musique. Le chanteur a apaisé sa soif de musique avec un premier album faussement calme, d'une torpeur qui n'est qu'apparente. Tout cela sera vérifiable sur scène, où, en formation rock, il démontrera qu'une chanson se chante et se joue.